Monsieur Bukasa, La RD Congo fait face à des sérieux problèmes liés à l’alimentation malgré des vastes étendues de terres arables qu’elle regorge, quelle est selon vous la principale cause ?
PB: “C’est tout simplement le manque d’organisation dans le secteur agricole en RD Congo “.
Le pays figure également sur la liste des nations ayant le plus besoin d’aide alimentaire au monde selon le récent rapport du Programme Alimentaire Mondial (PAM). Estimez-vous que cela soit dû à la négligence du secteur agricole par les gouvernants ?
“Tout se résume à ce que je viens de vous dire : le manque de moyens financiers mis à la disposition de la politique agricole. Ensuite il faut aussi reconnaître le manque d’organisation.
Avec toutes les étendues de terres emblavables que nous avons, même sur le plan halieutique. Nous avons la possibilité de nourrir toute l’Afrique voir même toute la planète. Il faut reconnaître que le budget qui est alloué au secteur agricole qui est de 1 à 1.3 % ne peut pas permettre qu’on fasse quelque chose.
Tous les pays de la COMESA et de la SADC avaient ratifié pour un budget de minimum 10% par pays. Aujourd’hui nous sommes à 1.3% de notre budget qui est déjà insignifiant. A quoi s’attendre ? C’est ainsi que nous sommes dépendants de l’extérieur sur le plan alimentaire. C’est tout ça qui fait que nous en sommes là”.
Quels sont les partenaires qui vous soutiennent dans votre association ?
PB : “Je peux sincèrement vous dire que nous n’avons pas de partenaires. Nous travaillons entre congolais.
Je ne suis pas de ceux qui ont toujours la main tendue tout le temps. Nous essayons avec nos maigres moyens de nous prendre en charge, d’organiser notre secteur et peut-être de temps en temps de conseiller le gouvernement dans sa politique. Malheureusement on évite le secteur privé jusque-là, je ne vois pas les partenaires qui nous soutiennent.”
Vous avez tant tôt dit : la RD Congo est en mesure de nourrir toute la planète si elle exploite ses terres arables. Alors quels sont les projets que vous avez initiés au sein de votre association en vue de concrétiser cela ?
PB: “Il y a plusieurs projets que nous avons mis au point. Par exemple, notre président va plaider à la COP26 qui se tiendra en Ecosse sur le réchauffement climatique, les gens ignorent que l’agriculture y contribue énormément.
Nous avons 8 millions d’hectares de sols emblavés sur les 80 millions. Donc, nous absorbons aussi le Dioxyde de carbone, le principal gaz à effet de serre partout au monde. Les pays qui font l’agriculture obtiennent un peu de subsides auprès des organisations internationales pour les hectares emblavés. Mais, la RD Congo n’a jamais eu ça ou le reçois sans nous le dire. C’est qui sûr est que si nous avons cette part qui revient à la lutte contre le réchauffement climatique et que l’on investit dans l’agriculture, ça sera une bonne chose. C’est un projet que nous avons initié, nous allons essayer de convaincre les bailleurs de fonds que les agriculteurs congolais travaillent malgré qu’ils n’ont pas de moyen et qu’il y a 8 millions d’hectares qui sont emblavés aussi.
Si le fonds forestier donne 2000 USD par hectare, ça nous ferait plusieurs millions de USD, Mais malheureusement tout ça n’est pas mis en œuvre. il faudrait qu’un jour notre pays puisse défendre ce secteur au niveau international. jusque-là ce n’est qu’un projet.”
Quelles sont les difficultés auxquelles le secteur agricole congolais est confronté ?
PB: “Au fait, il y a déjà une chose au Congo, on n’accepte pas que l’agriculture devienne un métier, on est tous dans le paysannat. Or, être agriculteur est un métier, mais être paysan ne l’est pas.
Donc, la première des choses est de distinguer un agriculteur et un paysan.
Le Congo a aussi un problème de superficie agricole faute de cadastres agricoles. un militaire qui n’a pas de solde peut se transformer en agriculteur, la même chose pour un enseignant. A un moment il faut que l’on sache qui est qui ? Qui fait quoi ? Tant qu’on n’a pas de cartographie agricole, il sera difficile d’orienter une bonne Politique.
Je vous donne l’exemple de Bukanga-Lonzo. Quand on a fait Bukanga-Lonzo, nous avons écrit au gouvernement pour dire : c’est un échec planifié. Ils ont fui 11 000 paysans pour une affaire aussi gigantesque.
Autre chose est que l’État ne peut pas être juge et partie, l’État congolais ne produit pas mais doit aider à contrôlé.
En RD Congo on ne sait pas qui fait quoi? Il faut que l’on sache c’est quoi le rôle de chacun, sur quelle étendue et avec qui comme acteur.
En bref, nous demandons en plus de financement, une organisation dans le secteur Agricole”.
Que doit-on faire pour remédier à cette situation ?
PB : “Vous savez, l’un de plus grand problème que nous reprochons aux bailleurs de fonds qui viennent en aide au secteur agricole. La plupart des projets qu’ils amènent au Congo sont faits dans les laboratoires européens selon les 4 saisons d’Europe, alors que le Congo en a deux.
Quand ils viennent avec ce genre de projets, ça ne marche pas. Au gouvernement, nous fustigeons (ndlr) le fait qu’ils n’associent jamais les agriculteurs quand ils font des projets. On vient de faire un état de lieux de l’agriculture. Imaginez-vous il n’y avait que des fonctionnaires et bureaucrates, aucun agriculteur, où allons-nous ?.
Les acteurs du terrain qui peuvent faire les recommandations au gouvernement n’étaient pas présents. C’est tout ça qui est en train de biaiser notre secteur, il faut pour chaque projet, que l’on associe les associations paysannes qui vont travailler en partenariat ou en conformité avec les membres du gouvernement.
Il y a aussi le problème d’éternel recommencement, il n’y a pas de continuité, vous verrez que les projets qui ont été lancés sous Mobutu n’ont pas été achevés par son successeur et ainsi de suite, on ne fait que recommencer pour aboutir à rien”.
Cela est donc inconcevable ?
PB: “Ce n’est pas inconcevable, mais c’est une façon d’entretenir la pauvreté. Quand on entretient la pauvreté, c’est que l’on fait nourrir d’espoir des tiers, en réalité on ne leur donne rien. C’est comme quelqu’un qui est en train de se noyer, une main vient le soulever, deux minutes après, le lâche encore et ainsi de suite.
Si on met les 15 ou 20% de notre budget dans l’agriculture, dans 5 ans, la RD Congo ne dépendra plus de minerais, on va abandonner les minerais pour se focaliser sur l’agriculture. Le problème est que puisque les minerais rapportent rapidement les fonds que tout le monde voit et que l’agriculture prend du temps pour donner des résultats.
Les gens préfèrent investir plus d’argent dans les minerais que dans l’agriculture et tant que nous n’arriverons pas à dépasser ce cap, ça sera difficile. Le développement d’un homme commence lorsqu’il n’a plus faim, lorsqu’on se pose des questions du genre: qu’est-ce que les enfants vont manger le soir ? C’est que l’on est loin de se développer”.
Quel est votre mot de la fin?
PB: “Mon mot de la fin est qu’il faut commencer par mettre les dirigeants compétents, c’est très important.
Il faut avoir un bon leadership au sommet qui comprenne la vision qu’il faut inculquer au secteur.
Aussi longtemps que l’on ne sait pas ce que nous devons faire, aussi longtemps qu’on aura des dirigeants non compétent et qui apprennent le métier en étant secrétaire général ou ministre, le pays ne se développera pas.
Il faut qu’on nous fasse une cartographie agricole pour le pays.
A part ça, nous ne devons pas compter sur les bailleurs de fonds, mais sur notre gouvernement qui peut aider les petits agriculteurs à se développer.
Deux milliards, c’est le nombre de produits agricoles importés chaque année pour un pays comme le nôtre, et quand on dit deux milliards, c’est seulement dans le formel dans l’informel c’est encore plus, nous dépendons totalement de l’extérieur, car à l’intérieur nous ne produisons rien.”